Glory Box

Quatorze ans dans ce quotidien qu'il vaut mieux avoir en journal. L'intégrale en 22 chapitres est désormais disponible.

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Par Charlotte Moreau
15 oct. · 5 mn à lire
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Chapitre 14 - "Si vous aviez des couilles..."

On les reconnaît de loin. Ces enveloppes timbrées, libellées d’une écriture sèche et orageuse. Avec dans le trait quelque chose d’une colère à peine contenue, d’un esprit chevaleresque aussi. Car qu’est-ce qui pousse le lectorat d’une rédaction à lui écrire sinon ceci : la révolte.

Une révolte suffisante pour prendre sa plume puis sortir de chez soi. Car une lettre de lecteur, fut-elle d’insultes, c’est d’abord une rencontre. Qui n’a rien de commun en terme d’agenda, d’organisation personnelle, avec une injure lâchée en ligne.

À chaque fois que je décachète l’enveloppe je pense à ce moment, je visualise ce moment : le lecteur - souvent un homme - qui sort de chez lui pour m’envoyer une lettre. À moi. Un lecteur qui peut-être, s’apercevant qu’il n’a plus de timbre, aura dû aller racheter un carnet et me maudira en chemin, putain de journaliste de merde, surtout si au bureau de tabac on n’a plus de timbres ou si, une fois de plus, la Poste a baissé le rideau à 11h56.

Parfois, il y a une vanne dès l’adresse. 
« Lolote Moreau » 
« Moreau (dents) »
« Journaliste (sic) »


Un ou deux « Le Parisien Libéré » qui s’égarent encore comme on disait « Antenne 2 » au lieu de France 2 dans les années 90, le temps de s’y faire. En 2016 on peut conjecturer sur l’âge de l’expéditeur. Libéré, Le Parisien ne l’est plus depuis trente ans.

« H. Bry et C. Moreau, si toutefois ce sont bien vos vrais noms ! Si vous aviez des couilles vous pourriez écrire :
BOUGNOULE pour maghrébin
GOUINE pour lesbienne (ce que vous devez être) 
PD pour gay 
NEGRO pour noir 
Et j’en passe, car ça ne vous gêne pas d’écrire ROSBIF pour ANGLAIS. 
Tas de pourris. »

L’article de la discorde, titré « Encore deux séries rosbif bien saignantes ! » est soigneusement découpé et joint au courrier. Il ne tient qu’à moi de poursuivre la conversation. J’ai le nom (britannique), l’adresse, que j’ai caviardées sur Instagram en y republiant la lettre. 

Que se passerait-il si, dix ans après, je répondais à ce lecteur ? Si je lui disais « je n’ai jamais oublié votre lettre » ou « je l’ai gardée vous savez » ou « et les lesbiennes, vous en êtes où ? »  

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