Glory Box

Quatorze ans dans ce quotidien qu'il vaut mieux avoir en journal. Un feuilleton envoyé depuis le monde d'avant, chaque 15 du mois.

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Par Charlotte Moreau
16 juin · 5 mn à lire
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Chapitre 10 - What happens in Monaco...

Tant d’hystérie dans une si petite boîte. La télévision est absurde par essence. Il y a de quoi y devenir fou et d’ailleurs, on le devient. Mais comme tout royaume, celui de l’absurde a son épicentre. Le lieu le plus what the fuck de la Terre quand on écrit sur la télé, celui où l’on a lâché le sens commun. Monaco.

Rien n’est plus surréaliste que le festival s’y déroulant au mois de juin depuis soixante ans.
Un festival réunissant, dans une ville lunaire et l’indifférence générale, des gens qui n’ont rien à faire ensemble. 

Quelques kilomètres plus loin, quelques semaines plus tôt, Cannes déroule chaque année une prévisible partition. Stars planétaires, tapis rouge, polémiques, soirées, yachts, fatigue. Tout le monde en sort lessivé ou humilié, on sait à quoi s’attendre.

Monaco, non. 
Rien ne vous prépare à Monaco.

La première année, je m’imagine être submergée. De fric, de luxe, d’indécence.

Et puis pas du tout. 

La première année je suis sur le strapontin du festival, so to speak
Logée au dernier moment par le journal dans ce qui restait, à savoir un hôtel miteux avec vue sur voie ferrée - je ne pensais même pas ça possible à Monaco mais oui ça l’est - alors que toute la presse crèche dans un 4 étoiles aux frais du Prince et à quelques encablures du Grimaldi Forum, là où tout se passe, photocalls, interviews, buffet gratuit.

La première année, je suis la fille à pied dans la ville des voituriers et des Lamborghini.
Je suis celle qui n’a pas eu le mémo. « Mais qu’est-ce que tu fous dans cet hôtel ? » Les confrères compatissent. Il y a cette règle d’or quand on écrit sur le star system, celle du reportage de planqué, de l’insiding réussi, ce moment où tu accèdes à des niveaux de confort que tu ne pourras jamais t’offrir toi-même. C’est ça, être dans la place. Ça fait partie du sujet.

La première année je suis hors sujet.

Mais cette échelle je la grimperai, jusqu’à finir douze ans plus tard dans un palace à 900 euros la nuit. Logeant dans les mêmes étages que les artistes, les croisant au petit-dej avant de les voir en interviews, car c’est comme ça que Monaco fonctionne. Dans un nivellement absolu des rapports.

Les hiérarchies qui sévissent ailleurs n’ont pas cours ici et cette première année c’est tellement informel qu’il faut se pincer pour y croire.
Le festival a réussi à faire venir les acteurs principaux de « Lost », lancé quinze jours plus tôt sur TF1 avec des audiences fracassantes.
Tout le monde ne parle que de ça, mon chef aussi qui soudain reconsidère l’hypothèse Monaco, ce festival qu’on avait toujours snobé. S’ils sont là-bas alors oui vas-y.

Sur place, il n’y a pas de demandes d’interviews, pas de planning militaire, pas la scénographie habituelle des junkets à l’américaine, la star qui vous fait face, et chacun son siège, cette barrière invisible entre elle et vous, cette altérité traduite jusque dans le mobilier et sa disposition, cette porte ou cette cloison qui vous tient à distance, à votre place, la place de ceux qui écoutent et qui attendent leur tour. 

...