Glory Box

Quatorze ans dans ce quotidien qu'il vaut mieux avoir en journal. Un feuilleton envoyé depuis le monde d'avant, chaque 15 du mois.

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Par Charlotte Moreau
29 févr. · 4 mn à lire
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Chapitre 18 - Sapée comme jamais

Pour moi il n’y a pas de vestiaire. Je me faufile entre les tables, ces tables nappées de blanc, éclairées de chandeliers, entre lesquelles je fais tache. 

Je suis mal tombée ce soir. Un pince-fesses au Crillon, avec Bernadette Chirac. Elle est postée près de la cheminée, regard las, hostile. J’aurais pu la saluer d’un signe de tête, qu’est-ce qui me prend de lui tendre la main ? Elle la serre du bout des doigts, répond à mon bonsoir par un rictus. Je prends congé à reculons, évite tout geste brusque, comme devant un fauve. Mon manteau frôle les poignets des convives, les boutons de manchettes, les couteaux en argent, les bracelets de diamants.

Je porte une minijupe et des bottes fourrées. Pas des UGG, ça n’existe pas encore, non des bottes avec de la fourrure dessus.

Le matin je m’habille sans trop savoir avec quel reportage je vais finir la journée. C’est le principe. La fiche de poste. Le CDI que j’ai signé. Reporter de nuit. 

Cette nuit : le Crillon. C’est rare, mais ça arrive. On m’envoie plus souvent à l’Olympia ou au Zenith. J’y passe inaperçue.

Ici, tout me signale. Le prix de mes fringues, qui doit être celui de la nappe. Le polyester de mon manteau. Le mauvais goût des bottes, des cuisses en collant. Je sens la fille qui débarque, qui aurait pu au moins, par respect, enfiler un tailleur-pantalon et des boots, cette tenue qui te fait entrer partout. Celle de Claire Danes dans « Homeland ». Une panoplie d’espionne. Une cape d’invisibilité. Mais « Homeland » non plus n’existe pas encore. 

Bouclage dans trente minutes, comme toujours j’écris sur place. Les concierges me sourient pendant que je m’installe dans le lobby. Ça les change un peu, une pauvresse. Et pour une fois, je n’ai pas besoin de m’assoir par terre.

Si mon manteau est élimé, c’est aussi pour ça.

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