Glory Box

Quatorze ans dans ce quotidien qu'il vaut mieux avoir en journal. Un feuilleton envoyé depuis le monde d'avant, chaque 15 du mois.

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Par Charlotte Moreau
15 mars · 4 mn à lire
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Chapitre 19 - Testostérone

« Hi, honey ». Il entre dans mon dos pendant que je regarde l’avenue Montaigne, par la fenêtre de la suite. La voix reconnaissable entre mille. Voilée. Canaille. Je me retourne. « Hi, Jason. »

L’attachée de presse suit, fait les présentations. « Charlotte from the French daily Le Parisien. » Il marque un temps d’arrêt, une seconde à peine. Juste de quoi me faire douter. Ce « Hi honey » lui semble-t-il soudain inapproprié ? Moi il va me faire la journée, la semaine, la vie entière. Toujours eu un faible pour lui depuis « Snatch ». 

C’est le moment où il faut se dédoubler un peu, fébrile dedans, poker face dehors. Évidemment que je scanne la musculature sous la chemise grise au tombé parfait. Évidemment que la chemise a été choisie pour ça. Endosser un statut, ou pas. Car certains n’endossent pas.

Une autre chambre d’hôtel, Vincent Cassel à sa grande époque. Alors que j’attends le charmeur d’« Ocean’s Twelve », la bombe de la pub Saint Laurent, il m’ouvre la porte en catogan grisonnant et vieux pull camionneur.

On s’est quittés contrariés. Moi avec le sentiment d’avoir été lésée. Lui fâché contre je ne sais plus qui ou quoi (le système tout entier, probablement) et me prenant à témoin. En ces années-là, il traînait une vague rancoeur envers la-grande-famille-du-cinéma. C’était avant « Mon Roi » et sa reconnaissance par le métier et surtout, ce n’était pas ça le problème.

Le problème, c’est que j’avais pris mes habitudes avec les Américains et les Britanniques, toujours high maintenance en promo. Les mecs peuvent être imbuvables, mais ils sont sapés, ciselés pour rencontrer la presse, point. C’est un rapport au monde, une façon d’habiter son corps sur laquelle il n’y a pas débat, quel que soit votre ego d’artiste. Cf Jason. 

L’attachée de presse nous installe face-à-face dans ces inconfortables fauteuils Louis XV que le Plaza Athénée persiste à disposer pour les interviews. On s’y encastre comme on peut, surtout mon interlocuteur qui, même s’il n’est pas plus grand que moi, a gardé ses épaules d’ancien plongeur.

Nous sommes en 2007, loin encore de questionner les signes traditionnels ou extérieurs de virilité, qui à l’époque se confondent un peu. La sienne est frontale, comme encagée dans des vêtements civilisés peinant à la contenir. Et démultipliée, je m’en aperçois vite, par une tranquille autodérision.

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