Glory Box

Quatorze ans dans ce quotidien qu'il vaut mieux avoir en journal. Un feuilleton envoyé depuis le monde d'avant, chaque 15 du mois.

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Par Charlotte Moreau
15 janv. · 10 mn à lire
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Chapitre 5 - Les ogres

Le journal m’a envoyé un SMS juste avant la première affaire. Celle de Florence Porcel. « Toi, il s’était passé quoi avec PPDA ? » C’était devenu une vieille rengaine. Dans mon service, tout le monde s’en souvenait. De Nicolas Hulot, moins. Ça avait eu lieu en premier, pourtant.

Moi-même, j’ai dû fouiller dans mes papiers pour retrouver la chronologie des événements. 
Comme s’ils étaient associés, parallèles, alors que plusieurs années les séparent.
Comme si, avec le temps, ils avaient intégré le même récit. Ces red flags que je n’avais pas su voir. 

C’était d’abord une question, une seule. Sortie de nulle part à la fin d’une interview banale. Une perche tendue après avoir fait le boulot, comme si c’était là le scénario approprié, dans de telles circonstances et dans leur position. Faire connaître brutalement leur intérêt, et imploser le cadre de la rencontre.

Le décor me revient toujours d’abord, quand j’y repense.
La fontaine derrière Poivre d’Arvor, dans le lobby d’un petit hôtel bruxellois. Août 2013.
La fondation Hulot à Boulogne-Billancourt, sa façade terne et vitrée, le cimetière en face. Avril 2009.

Sur un plan purement journalistique, celui qui détermine si un entretien a été suffisamment riche, s’il augure un bon sujet, rien à redire. Chacun a joué sa partition. Moi la boîte à questions, eux la vedette populaire, d’autant plus encline à mettre en scène ses failles, ses aspérités, qu’elle est sûre de ses acquis.

Aucun des deux papiers ne mentionne ce qui s’est passé à l’issue de l’entretien. 
Il y a des coulisses que l’on éclaire volontiers dans nos articles. Celles-là, je les ai tues instinctivement.

Pour PPDA, ce fut l’un de ses désormais fameux « Vous avez quelqu’un ? » On venait de parler une petite heure, cordialement mais professionnellement, après des salutations tout aussi cordiales et professionnelles, une séance photo par laquelle il avait préféré commencer. « Et vous êtes heureuse ? » 

Je ne sais pas quelle expression s’est formée sur mon visage, surprise, malaise, sourire ? Les trois à la fois, probablement. En revanche je me rappelle de ce soulagement : pouvoir dire « oui » à deux reprises sans avoir à réfléchir, à composer une réponse. On m’avait quelquefois demandé si j’étais libre. Mais sur le ton de la plaisanterie, pas comme il venait de le faire. Pas avec cette étrange solennité.

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