Glory Box

Quatorze ans dans ce quotidien qu'il vaut mieux avoir en journal. Un feuilleton envoyé depuis le monde d'avant, chaque 15 du mois.

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Par Charlotte Moreau
5 mai · 5 mn à lire
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Chapitre 2 - Les filles lisses

Ce serait un papier de plus sur une fille de plus que personne de décisif ne lirait. Qui ne serait pas débriefé le matin par la rédaction en chef. Que les rubriques plus nobles passeraient en haussant un sourcil. Un de ces papiers avec lesquels je n’avais rien à gagner. 

Dans les couloirs du journal, mes comptes-rendus ricanants sur l’Île de la tentation, quand elle existait encore, étaient plus populaires. Vous voulez être lu ? Persiflez. Alors la gentille brune bien roulée de la Une, pensez donc… Il y a un cahier des charges pour les filles comme elle.

Je le sais depuis Flavie Flament, époque petite fiancée de TF1, blonde apaisante du samedi soir. Temps reculés où elle avait déjà du relief, mais pas l’espace pour le montrer. Et où l’affirmer en conférence de rédaction vous exposait aux railleries, « nan mais toi, t’aimes tout le monde ».

Les filles lisses, ou jugées comme telles, n’intéressaient pas, n’interrogeaient pas.
On était plus curieux, on l’est encore, de celles qui détonnent, dérangent, qui pensent tout haut. Le tour est vite fait, elles ne sont pas si nombreuses. C’est à elles qu’on passe les coups de fil, c’est leur parcours qu’on salue et retrace. Cette trempe qu’il faut, pour être segmentante à la télé.

Celles qui ne font pas de vagues, celles qui doivent fédérer, on les regarde sans les voir. Comme la petite brune bien roulée de la Une. Sortie de nulle part dix ans plus tôt, en quête d’une carrière ou d’un prince charmant on ne savait pas trop. Et méprisée pour ça.

Évidemment si j’y tenais, je pouvais le caler cet entretien. On m’accorderait quelques colonnes dans l’édition du samedi, j’appellerais Nikos pour qu’il me parle d’elle, ça ferait le job et gagner du temps en réunion.

Le jour de la parution, sa page serait tournée d’autant plus vite qu’il y aurait ce genre de photo d’elle, fournie par la chaîne et photoshoppée, avec ce sourire franc lui valant l’adoration des marmots et des mamies. Ces mamies qui l’arrêtent dans la rue pour lui raconter leurs malheurs et sa présence, chaque semaine dans leur salon. Ces charmes qu’elle y surligne à leur attention. Dents très blanches, cheveux très lisses, peau très bronzée, talons très hauts. Garde-robe apprêtée mais pas branchée, surtout pas. Être un bonbon, être un repère, être accessible.

Je l’avais croisée pour la première fois dans un bar privatisé, avenue de Friedland. À l'un de ces pinces-fesses que je couvrais à coup de petits papiers acides, peu après mon embauche. Une sauterie comme il y en avait tant ces années-là, organisée par une marque de téléphones portables. 2007, peut-être ?

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